À Aïn el-Héloué, la misère du double exode des réfugiés palestiniens de Syrie

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Detention cases

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Suzanne BAAKLINI

Parmi les réfugiés qui affluent de Syrie, il y a les Palestiniens dont les camps ont été pris pour cible par l’armée régulière. Ils seraient déjà plus de 17 000 selon les ONG. Oum Houssam, sa fille Zouhour, ses petits-enfants et une autre famille qu’elle ne connaissait pas avant l’exode s’entassent dans une cuisine totalement sombre, même en plein jour, pour se réchauffer. Ils s’installent tous à même le sol, sur des matelas. « J’attends mes trois fils et leurs familles, qui devront nous rejoindre dès que possible », nous dit-elle. Où logeront-ils ? « Avec nous », répond-elle.

Avant même l’arrivée de ces nouvelles familles, l’appartement d’à peine deux pièces dans le camp de Aïn el-Héloué, à Saïda, est déjà surpeuplé. Il est situé au fond d’une impasse qui ne voit jamais la lumière du jour, sans électricité. Ses locataires temporaires l’éclairent d’une simple lampe à pétrole. Une lampe pour tout ce monde, c’est tout ce qu’ils peuvent se permettre. « Nous manquons de tout, lance Oum Houssam. Notre maigre budget a été englouti par la cherté de vie ici, et nous n’avons aucun moyen de gagner de l’argent au Liban. Souvent, je n’ai pas un sou en poche. Je m’endette auprès de l’épicerie du coin, auprès d’amis, que j’essaie de rembourser dès que je mets la main sur une petite aide. Heureusement que l’association Nabaa nous a fourni un poêle à gaz, sinon nous serions morts de froid. » De quoi a-t-elle besoin urgemment ? « De liquidité, c’est ce qui nous permettrait de tenir le coup et d’acquérir le minimum dont nous avons besoin », dit-elle.

Depuis le bombardement de camps palestiniens en Syrie, particulièrement le grand camp de Yarmouk, par l’armée syrienne, la plupart des appartements de Aïn el-Héloué hébergent désormais une moyenne de quatre à cinq familles. Certaines habitent chez des proches (il y a souvent des liens de parenté entre réfugiés palestiniens du Liban et de Syrie), d’autres, comme celle d’Oum Houssam, se trouvent obligées de louer des maisons souvent insalubres. Dans les pièces nues, dépourvues de tout meuble, des matelas sont placés à même le sol. C’est là que tous les membres des familles dorment et vivent, parfois à deux sur un même matelas.

Les jeunes Siham et Hiba ont emménagé dans un de ces appartements. Hiba vient de mettre au monde un garçon, qui pleure dans ses bras. « J’ai eu besoin de le soigner, on m’a demandé de l’argent à l’hôpital, d’où pourrais-je leur payer ? » dit-elle. Ces appartements-ci sont également sans électricité ni chauffage d’aucune sorte. « Les pièces où mes garçons et moi vivons sont humides, nous n’avons pas d’eau chaude, se lamente Siham. Nous nous retrouvons continuellement malades, pris d’une toux incessante. »

De toutes les difficultés de la vie quotidienne (matelas, couvertures, poêles en nombre insuffisant), c’est le loyer qui est la principale obsession. Même un jeune garçon de dix ans, interrogé sur ce qu’il lui faudrait pour être plus heureux dans son nouvel environnement, répond sans hésiter : « Pour mes parents, de quoi payer le loyer. » Les familles de Hiba et Siham payent 200 000 livres par appartement, « des appartements où il n’y a rien », disent-elles. Beaucoup de réfugiés interrogés à Aïn el-Héloué se plaignent de la flambée des prix des loyers depuis qu’ils affluent au Liban, surtout s’ils essaient de louer des appartements à Saïda même. Ils accusent les Libanais de profiter de la situation, mais finissent par avouer que le même appât du gain prévaut au sein du camp, entre Palestiniens. La preuve, c’est le cas d’Oum Houssam, dont la famille paie l’appartement – décrit plus haut – cent dollars par mois, mais qui est menacée d’expulsion par la propriétaire. « Officiellement, elle se plaint de nous à tout bout de champ, pour quelque prétexte que ce soit, explique la vieille dame. Officieusement, nous savons bien qu’elle espère un loyer plus élevé si elle loue l’appartement à d’autres. Or de nouvelles familles affluent de Syrie tous les jours, et elles ont toutes besoin d’un toit. J’ai bien essayé de trouver un autre appartement, on m’a demandé un loyer de 250 dollars que ne suis tout simplement pas capable de payer. »

Sans école ni occupation Autre souci : les enfants privés d’école et de toute activité récréative. Habitués au cursus scolaire syrien très différent du libanais, ces enfants, nombreux tels que nous l’avons constaté, se retrouvent désœuvrés. « Ils n’ont même pas le loisir de regarder la télévision, il n’y en a pas, se désole Siham. Mon fils fait les courses pour un épicier qui l’a pris en pitié, rien que pour faire passer le temps. »

Les enfants provenant de ces nouvelles vagues de réfugiés ne sont intégrés qu’à un rythme très lent dans les écoles. Yasser Daoud, directeur de l’association Nabaa, très active au sein des camps palestiniens et des quartiers alentour, notamment dans le domaine de l’éducation (voir encadré), explique que certaines écoles à Saïda proposent déjà deux cursus, mais les écoles de l’Unrwa dans le camp n’assurent qu’une activité récréative pour les enfants palestiniens syriens durant les après-midi.

Dans un appartement où quatre familles du Yarmouk sont désormais installées, une grand-mère gronde une ribambelle d’enfants. « Ils sont désœuvrés, ils s’ennuient et ils vont me rendre folle », dit-elle. Un homme gronde lui aussi deux garçons qui jettent des ordures par le balcon, pour s’amuser.

Les cris incessants d’enfants ne sont qu’un des nombreux problèmes sociaux qu’une telle promiscuité peut engendrer. Au sein de cette famille, qui a refusé de nous fournir des noms par peur des représailles en Syrie, un des hommes est gravement blessé. Rendu paraplégique par un éclat d’obus qui a atteint la maison familiale dans un camp près de Damas, cet homme encore jeune, qui était commerçant, est obligé de rester étendu sur un lit toute la journée. Sa famille lui a tendu un fil d’un côté à l’autre de la pièce pour qu’il puisse s’y agripper et se rendre à la salle de bains. Il évite de passer par les pièces où vivent les autres femmes de la famille, nous expliquent sa sœur et sa mère, pour ne pas les indisposer. Il suit des séances de physiothérapie dans un hôpital de Saïda.

Dans une autre pièce, se trouve une femme d’une soixantaine d’années, paralysée depuis l’enfance à cause de la polio. Tout ce monde n’a aucune assurance médicale et très peu de moyens pour payer des soins. Ils évoquent des complications administratives entre les branches syrienne et libanaise de l’Unrwa. Ils ne sont en effet pas prioritaires ici par rapport aux personnes ayant un statut de réfugié au Liban.

Plus de cent enregistrements par jour Le nombre de familles déjà accueillies à Aïn el-Héloué seulement a été estimé à plus de 1 200 par Kamal el-Hajj, responsable du dossier de santé à l’OLP dans le camp. Il n’y a pas, jusqu’à nouvel ordre, de chiffres officiels précis. Yasser Daoud indique que dans huit camps (il en existe douze au Liban), son organisation a pu recenser plus de 2 800 familles : si l’on considère qu’en moyenne la famille palestinienne syrienne est composée de cinq personnes, cela représente déjà plus de 14 000 personnes. Selon Yasser Daoud, il y aurait déjà plus de 17 000 réfugiés palestiniens de Syrie au Liban. Sur le terrain, rares sont les réfugiés interrogés qui n’ont pas précisé avoir des membres de leur famille en route vers l’un des camps du Liban.

Ce nombre grandissant de nouveaux réfugiés peut être constaté lors d’une simple visite au centre de l’association Nabaa à Aïn el-Heloué, où les familles viennent remplir des formulaires afin d’obtenir des aides d’urgence dans le cadre de programmes financés par les gouvernements italien ou allemand. « Au début, c’est-à-dire il y a quelque deux mois, nous effectuions nous-mêmes des visites aux maisons pour informer les nouveaux refugiés des programmes d’aide, nous indique Rawan, une militante de Nabaa. Aujourd’hui, le nombre est trop important, ce sont eux qui viennent désormais à nous. Notre local leur est ouvert tous les jours jusqu’à 13h, mais comme vous le constatez, il est 14h et les enregistrements se poursuivent. Plus d’une centaine par jour. »

La directrice du centre, Hoda Osmane, nous explique que son association essaie de procéder par priorités. « Les nouveaux venus ont besoin de tout, dit-elle. Il y a surtout les difficultés liées au froid, ils veulent des couvertures, des poêles, des habits chauds... Certains sont sortis de chez eux dans l’urgence, ils n’ont rien. D’autres sont sans toit parce qu’ils n’ont pas de famille ici. Quelque 700 familles sont enregistrées chez nous. C’est très lourd pour une association. Nous avons besoin d’aide. »

Toutes les personnes rencontrées au centre se sont plaintes de la lenteur de l’Unrwa à réagir aux besoins des nouveaux réfugiés. L’agence avait commencé, certes, à distribuer une somme de 60 000 livres (quarante dollars) par personne, d’une donation d’Arabie saoudite, mais cela a été jugé insuffisant par les familles, confrontées à un niveau de vie au Liban bien supérieur à celui de Syrie. Kamal el-Hajj a insisté sur le fait que la performance de l’Unrwa n’était pas, jusque-là, au niveau requis. Mais face aux plaintes d’une dame venue enregistrer sa famille au centre, il a reconnu que « personne ne pouvait prévoir une telle catastrophe humanitaire, les aides nécessitent un peu de temps pour se mettre en place ».  

Des rescapés de l’horreur Bien sûr, ces quelques derniers jours, les promesses de dons internationaux pour les réfugiés syriens et palestiniens syriens se sont multipliés. Mais les besoins sont énormes. La tragédie est en développement puisque le flot de réfugiés ne s’est pas tari. De plus, même si les besoins primaires de ces populations sont satisfaits, il reste l’amertume de ce nouvel exode pour les Palestiniens, dans un pays où les réfugiés ne trouvent quasiment pas de travail.

« Ce n’est pas un secret que nous vivions dans de meilleures conditions en Syrie que nos compatriotes ici, nous raconte un jeune homme de Yarmouk, qui refuse d’être nommé. Nous sommes propriétaires de nos maisons, nous avions tous du travail. Ici, nous sommes un fardeau pour nos familles qui sont déjà en difficulté. Pour nous, beaucoup de questions restent en suspens : comment allons-nous survivre si cette situation perdure ? Est-ce que quelqu’un va nous indemniser un jour pour nos propriétés perdues ? Il y a des millions en jeu... »

L’amertume née de la soudaineté de cette tragédie transparaît dans les propos de cette femme rencontrée au centre de Nabaa, qui a elle aussi requis l’anonymat total : « J’étais une responsable d’association à Damas, et je me retrouve aujourd’hui en train de mendier aux portes des associations, souvent sans succès. J’aurais préféré être morte. Mes enfants sont vétérinaire, dentiste et chimiste. Si on leur permettait seulement de travailler, nous pourrions vivre avec dignité. »

À tous ces problèmes s’ajoutent les traumatismes de la guerre. Ces rescapés de l’horreur nous font des récits de mosquées bombardées, de cadavres mutilés, de proches qui ont échappé à la mort par miracle... « Yarmouk était plus qu’un camp, c’était le plus grand marché commercial de Damas, nous racontent des jeunes hommes qui sont arrivés, pour certains, aussi tard que le 30 décembre. Le camp était resté très sûr durant toute la guerre, d’où le fait qu’il a accueilli un grand nombre de réfugiés des autres régions, des Syriens pour la plupart. Et soudain, depuis septembre, ça a été le déluge de feu chaque jour et chaque nuit. Dans les mosquées bombardées, ce sont des déplacés d’autres régions qui ont souvent trouvé la mort. Aujourd’hui, les derniers d’entre nous à avoir quitté Yarmouk assurent que le camp est à 90 % déserté. »

Les jeunes hommes accusent surtout les « chabbiha » du régime syrien d’exactions contre les civils dans le camp, mais l’un d’eux assure que les miliciens de l’Armée syrienne libre étaient de la partie. « Je crois qu’il y avait un complot contre nous pour nous chasser de là », lance l’un d’eux.

Les frontières libanaises, les seules ouvertes Théoriquement, les déplacés de Yarmouk ont pu trouver refuge dans l’un des pays frontaliers, c’est-à-dire, outre le Liban, la Jordanie et la Turquie. Mais certains des réfugiés rencontrés nient ce fait énergiquement, assurant avoir été refoulés sur l’une ou l’autre des frontières jordanienne ou turque, n’ayant d’autre choix que de se diriger vers le Liban. Tous les réfugiés que nous avons interrogés attendent impatiemment le retour en Syrie. Même s’ils ne sont pas au Liban depuis longtemps, ils se doutent que ce retour ne va pas être aisé et que d’autres difficultés les attendront là-bas, quelle que soit la situation. Le Yarmouk qu’ils connaissent prend dans leurs propos l’allure d’un paradis perdu. Oum Houssam, dans la cuisine à peine éclairée qui lui sert de logis, commence à perdre espoir. Elle lance dans un soupir : « J’ai parlé à mes enfants hier, j’ai l’impression que cette situation est partie pour durer... »  

 

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